Kontaktirajte nas.
Pišite nam na: portal@polis.ba
Benoist de Sinety: Rencontrer l’étranger c’est lui permettre de devenir un frère
Je pense que le Pape François a ouvert une fenêtre que personne n’arrivera à refermer. Comme lorsque Jean XXIII avait convoqué le concile Vatican II : beaucoup de responsables de la Curie avaient essayé d’en limiter les effets, ils n’y étayent pas parvenus. Il en sera ainsi pour la synodalité : beaucoup veulent limiter au maximum les espaces de réflexions et de dialogues à ce sujet. Ils n’y arriveront pas
Benoist de Sinety, né en 1968., diplômé d’un baccalauréat en théologie obtenu à l’Institut d’études théologiques de Bruxelles. Il est ordonné prêtre pour le diocèse de Paris en 1997 par le cardinal Jean-Marie Lustiger. Il était curé de la paroisse Saint-Germain-des-Prés de 2009 à 2016. Parmi différentes responsabilités confiées, il était aumônier des étudiants et responsable de la question des migrants à Paris pour l’Église catholique. Actuellement il est au service de l’archidiocèse de Lille. Il a écrit le livre Il faut que des voix s’élèvent- Accueil des migrants, un appel au courage pendant qu’il était vicaire général de l’archevêque de Paris (2016 -2021). Pour Polis.ba de Sinety parle de ce livre que le pape François avait lu, de la fraternité, des migrants, du courage, de la modestie, de son séjour en Bosnie-Herzégovine durant la guerre, de synodalité.
Mgr. de Sinety, votre livre Il faut que des voix s’élèvent – Accueil des migrants, appel au courage a été traduit en croate, édité par JRS (Jesuit Refugee Service) il y deux mois puis il a été présenté dans plusieurs villes du pays, suscitant un intérêt considérable. Bientôt sortira la deuxième édition. Le pape François avait dit que ce livre est une vraie perle. A quelle occasion l’avait-il dit et quel écho avait ce livre en France?
Le livre est sorti en France au printemps 2018. Il a eu un accueil dans l’Eglise de mon pays : un intérêt chez les personnes déjà engagées dans l’aide et le soutien aux migrants. Beaucoup de silence dans l’Eglise plus institutionnelle… Lors de son voyage pour se rendre aux JMJ de Panama en janvier 2019, le Pape a lu ce livre qui lui a été remis par une journaliste à bord de l’avion. C’est en arrivant au Panama qu’il en a parlé devant les évêques latino-américains. Il a eu ensuite la grande bonté de recevoir la délégation des jeunes de Paris que j’accompagnais.
Le titre du livre fait penser au thème des Rencontres théologiques en Méditerranée à Lovran: Liberté et responsabilité de la parole publique, aussi à ce que dit Jean Paul Sartre: Chaque parole a une conséquence. Chaque silence aussi. Donc, c’est important, surtout pour les chrétiens et tous ceux qui cherchent à aimer leur prochain, de lever la voix quand il s’agit des personnes exclues, en ce cas-là, des migrants. Qu’est ce qui nous empêche d’élever la voix?
Je crois que la première chose qui nous retient d’élever la voix est notre propre malaise face à une situation comme celle des migrants, que nous comprenons mal et dont nous percevons qu’il n’y a aucune solution simple. Du coup, on se tait, avec une certaine culpabilité.
Pour ma part, plus j’avance, moins je sais ce qu’il faut faire mais plus je suis certain aussi de ce qu’il ne faut pas faire!
Dans sa préface de l’édition croate, Mgr Bože Radoš, évêque de Varaždin, confirme que votre livre est un appel au courage. Et il continue: Je dirais encore: il faut du courage pour lire ce livre! S’exposer à l’opinion qui n’est pas à la mode et qui peut contaminer notre attitude rationnelle vis-à-vis des migrants. Il faut du courage pour mettre en question notre attitude, c’est-à-dire de reconnaître que bien souvent ce n’est pas notre opinion personnelle, plutôt quelque chose copiée de la matrice de l’opinion publique. Vous aussi, vous avez reconnu ouvertement que vos attitudes d’aujourd’hui sont le fruit de la maturation et que vous n’avez pas toujours réfléchi de cette manière-là. Pouvez-vous nous dire quelque chose sur ce cheminement intérieur?
Je crois beaucoup à cette phrase que le Cardinal de Lubac dit un jour à des séminaristes qui se désolaient de l’état de l’Eglise en évoquant un champ de ruines. Il leur dit : «oui l’Église est un champ de ruines. Mais chacun de vous, vous avez devant vous une pierre que vous pouvez et devez relever!».
Souvent, par découragement, nous nous disons qu’il n’y a rien à faire : tout est trop compliqué, à une échelle qui n’est pas la nôtre. Et c’est vrai que personne ne se sent capable de « changer le monde ». Mais nous avons chacun une pierre que nous pouvons redresser. C’est cette prise de conscience qui me pousse à m’engager : je dois relever la pierre pour participer à la construction d’un monde qui ressemble davantage au Royaume. La première prise de conscience se passe quand on rencontre les personnes concernées. Rencontrer l’étranger c’est lui permettre de devenir un frère. On ne traite plus un frère comme un étranger…
Vous portez un regard sévère sur notre civilisation occidentale, vous dites que nous sommes des enfants gâtés, tout occupés à consommer sans fin et à nous admirer dans un miroir, habitués au luxe bien disproportionné aux besoins de la majorité des habitants de la terre. Votre opinion est finalement bien réaliste. Vous écrivez il a quelque temps que vous avez mené une réflexion avec un groupe de personnes de votre paroisse au sujet des prix des loyers. En quelques minutes, ils prirent conscience d’une évidence qui ne leur avait jamais traversé l’esprit : les sommes qu’ils réclamaient à ces jeunes pour quelques mètres carrés étaient parfois sans commune mesure avec la mesur de leurs besoins réels. Comment se fait-il qu’ils ont pu changer leur opinion?
Chacun de nous, nous avons cette voix de la conscience qui nous empêche d’être tranquille. Elle nous rappelle à l’ordre. Cette voix de la conscience est éclairée par l’Esprit Saint pour ceux qui veulent suivre le Christ. Lorsque vous faites réfléchir des baptisés sur leurs pratiques habituelles en leur demandant de s’interroger sur leur bien-fondé évangélique, ils peuvent parfois s’apercevoir qu’ils ont pris une fausse route. En faisant « comme tout le monde » sans s’apercevoir des conséquences…
Je me souviens par exemple de ce couple de fiancés qui m’avaient dit quelques jours avant leur mariage qu’ils avaient beaucoup réfléchis et décidés de ne pas faire le voyage de noces qu’ils avaient rêvés dans les îles du Pacifique : ils avaient pris conscience que la dépense d’argent n’avait pas de sens et que leur bonheur ne pouvait pas dépendre de cette somme. Ils préféraient partager avec les plus pauvres, et partir moins loin.
La grandeur d’un peuple, d’une civilisation, se mesure à son humanité, c’est écrit dans votre livre. Avez-vous l’impression que notre humanité, notre solidarité est parfois sélective? Vous avez remarqué que des intellectuels et des politiciens, pas seulement ceux qui marchandent avec le populisme, profitent de la peur envers des personnes qui viennent en Europe, surtout du Sud et de l’Est. Ils attisent la peur en diffusant cette idée dangereuse que l’étranger est forcément un ennemi. Mgr. de Sinety, vous parlez de la responsabilité des hommes politiques avec un regard critique envers ce que l’on pourrait appeler le populisme: Gouverner au gré des opinions d’une majorité de Français est une gigantesque bêtise qui conduit à la faillite de nos valeurs. Des valeurs chrétiennes, ne sont-elles pas menacées justement par le nationalisme et le populisme de ceux qui disent vouloir protéger “des valeurs chrétiennes”?
Je ne connais aucune valeur chrétienne qui puisse s’opposer à l’Évangile. L’Eglise est depuis toujours un lieu de tentations pour le pouvoir politique qui cherche à se l’inféoder, à l’instrumentaliser soit pour assoir sa propre légitimité, soit pour maintenir les plus pauvres dans un assujettissement. Or l’Eglise doit être le lieu qui ne cesse d’appeler à une révolution, non pas violente, mais des consciences et des mœurs. Tout baptisé doit se sentir appelé par Jésus à ce jamais renoncer à suivre l’enseignement des Béatitudes. Ceux qui sont donnés en exemples ne sont jamais les riches et les repus, les puissants ou les plus forts.
Dans le livre on trouve cette pensée: Favoriser l’intégration de ceux qui arrivent chez nous, quel que soit leur statut, c’est investir pour l’avenir, c’est éviter d’avoir à gérer des problématiques sociales, d’emploi, de santé dans dix ou quinze ans. Pouvez-vous nous en dire un peu plus?
Car si l’on n’aide pas les gens à apprendre la langue du pays dans lequel ils arrivent, si on ne leur permet pas d’expliquer les raisons pour lesquelles ils veulent y vivre. Si rien n’est fait pour garantir à ces populations la sécurité et qu’elles sont sans cesse refoulées et ostracisées, alors on fabrique du désespoir. Et le désespoir conduit à la colère, à la révolte et donc à la violence.
Lorsqu’en France on refuse à des centaines de milliers de personnes, le droit de rester dans le pays, il faut avoir le courage de ses décisions. Soit on trouve un moyen de permettre à ces personnes de rentrer dans leurs pays d’origine, soit on leur donne les moyens de pouvoir vivre honnêtement chez nous. Mais on ne peut les laisser sans papier et sans droit de travailler, après avoir refusé leurs demandes de régularisation, et s’étonner ensuite qu’un certain nombre se conduise mal.
Nos 7 péchés capitaux – La fraternité: seule politique possible, voilà le titre de votre dernier livre. Et le précédent est intitulé La fraternité sinon rien – La force transformante de l’Evangile. Le livre Il faut que des voix s’élèvent est aussi un appel à la fraternité. C’est évident que la fraternité est pour vous le thème central. Pourquoi?
Parce que la fraternité est la clé de tout. Elle est la bonne nouvelle de l’Évangile : «Vous avez un seul Père». Le chrétien sait que Dieu est le Père de tous les être humains. Il n’y a donc plus d’étranger! Bien sûr la réalité est complexe et vivre ensemble n’a rien de simple. Mais nous savons que nous sommes tous aimés d’un même amour et que le regard de notre Père nous rassemble tous, sans aucune exception. A nous d’en tirer les conséquences pratiques dans nos vies quotidiennes. En tout cas, nous ne pouvons pas dire que nous ne savons pas.
Pendant la guerre de 90 vous avez passé un temps à Mostar, comme volontaire d’une association humanitaire. Pouvez-vous partager quelque chose de cette expérience?
J’ai habité de novembre 1993 à juillet 1994 n Bosnie Herzégovine. J’ai eu l’occasion, à l’âge de 25 ans j’ai découvert la réalité de la guerre. J’ai rencontré des personnes magnifiques, d’un courage incroyable et totalement anonyme, au milieu de beaucoup de violences et de lâchetés. J’ai compris que le grand drame de la guerre était non seulement qu’elle provoquait la mort et la souffrance de beaucoup mais aussi qu’elle donnait à beaucoup d’hommes et de femmes l’occasion de tuer et de faire souffrir, en toute légalité. Et qu’il faut arriver à vivre après cela…
J’ai aussi vu que d’être témoin de la violence faisait naitre en moi le vertige de vouloir utiliser cette violence et c’est ce mécanisme-là qui fait le plus peur…
Dans le cadre des Rencontres théologiques en Méditerranée auxquelles vous êtes invité, le 11. Juillet sera la présentation de votre livre Il faut que des voix s’élèvent. Puisqu’en ce moment-là vous serez sur le Camino de Santiago, vous allez rejoindre l’événement par l’internet. Ce n’est pas la première fois que vous allez sur le Camino. Quelle est votre expérience de ce pèlerinage dans les années passées? Cette année il sera sans doute marqué par la guerre qui fait rage de l’autre côté du continent, par l’agression de la Russie sur L’Ukraine, avec des victimes toujours plus nombreuses et la destruction toujours plus grande. Comment gérez- vous votre sentiment d’impuissance pendant le temps de pèlerinage et aussi dans votre vie quotidienne?
Je ne pourrais être chrétien sans les frères et la prière. Sur le Camino, je trouve les deux. La belle fraternité du groupe avec lequel je marche depuis 7 ans. Et la prière au long des chemins, dans la fatigue de l’effort et la beauté de la nature.
Encore une fois, sur les sentiers de terre, la parabole de la pierre à relever prend tout son sens : il y en as des petites pierres tout autour de celui qui marche!
Sans doute que vous participez activement dans le cheminement synodal de votre Église locale et que vous êtes content que la sœur Nathalie Becquart, votre compatriote, soit nommée secrétaire de la Synode. Quelles sont vos attentes et vos impressions quant à ce chemin synodal de l’Eglise en France et en d’autres pays?
C’st une grande joie que la Sr Nathalie Becquart occupe cette haute responsabilité. Nous avons travaillé ensemble à Paris pendant plusieurs années dans les aumôneries étudiantes. Il est essentiel que l’Eglise ne soit plus composée dans son organisation de gouvernement par seulement 50% de l’humanité!
Nous avons dans ma paroisse, tout au long du carême, interrogé les passants chaque samedi, qui passaient devant l’église. En leur demandant la manière dont ils voyaient l’Eglise catholique. Beaucoup nous ont dit leur déception qu’elle ne soit pas à la hauteur de leurs attentes.
Je pense que le Pape François a ouvert une fenêtre que personne n’arrivera à refermer. Comme lorsque Jean XXIII avait convoqué le concile Vatican II : beaucoup de responsables de la Curie avaient essayé d’en limiter les effets, ils n’y étayent pas parvenus. Il en sera ainsi pour la synodalité : beaucoup veulent limiter au maximum les espaces de réflexions et de dialogues à ce sujet. Ils n’y arriveront pas. Car l’Esprit Saint est un vent trop puissant pour qu’ils referment la fenêtre!
Recueilli par Branko Jurić, polis.ba